Dominique Seux est chroniqueur sur France Inter et rédacteur en chef des Echos. Il serait toutefois plus exact de parler à son encontre d'idéologue, tant son acharnement à défendre une politique de l'offre pour nos entreprises est sans limites. C'est son droit.
Comme tout idéologue libéral, son écoute peut gâcher une matinée à un tout partisan d'une gauche progressiste et sa précision dans le maniement des chiffres est extrêmement aléatoire.
Gilles Raveaud, économiste, l'avait démontré suite à une chronique sur les écarts de richesse et d'ailleurs une contre-chronique devrait s'imposer chaque jour pour une plus grande neutralité sur le service public. Ce serait notre droit.
Mais ce matin, la chronique de France Inter a été consacrée à un sujet autre que les charges, le manque de compétitivité, la pression fiscale... Il était question du salaire des enseignants.
En voici la contre-chronique.
La démonstration de D. Seux tient en 3 points.
- Un proviseur d'un établissement scolaire a communiqué des salaires d'enseignants très élevés.
- Cet établissement est un établissement normal.
- Nous ne pouvons en tirer de conclusions sur les salaires des enseignants, mais cela nous pousse à réfléchir.
Sur le premier point, la véracité des faits n'est pas à remettre en cause et il est utile de donner quelques éléments de hiérarchie scolaire pour montrer que par contre, on ne peut parler d'établissement normal.
Le système de mutation des enseignants permet des disparités importantes
dans la proportion d'agrégés dans l'effectif enseignant. Un grand lycée général et technologique est un établissement où la proportion d'enseignants agrégés est importante. Quelques enseignants, avec une expérience avancée, peuvent être promus
agrégés hors classe et être rémunérés selon la grille de rémunération la plus haute du second degré. L'auteur n'a pas donné la proportion de professeurs agrégés dans l'établissement, encore moins celle des agrégés HC. Les agrégés ne constituent que 18% des effectifs enseignants en collège, de 25% en lycée général et technologique. Mais dans certains établissements plus cossus, bénéficiant de formations d'enseignement supérieur (classes préparatoires, BTS...), la barre des 50% est bien souvent dépassée et les agrégés hors classe peuvent ne pas relever de l'exception. Nous pouvons penser qu'il s'agit de ce type d'établissement ici et non pas d'un lycée en zone semi-rurale ou en ZEP. Les agrégés ne représentent toutefois qu'un petit 10% des 850 000 enseignants français. Primaire et lycée professionnel compris. A échelon égal, leur rémunération de base est de 400 à 700 euros supérieurs à celles des enseignants certifiés pour un temps devant élève de 3h inférieur. A temps de travail égal, 3 heures supplémentaires rapportent 3*150 euros payés sur 9 mois. Des différences sensibles existent bien.
D. Seux semble faire une distinction entre primaire et premier degré. Il n'y en a pas. Le collège fait partie du second degré.
Les grands lycées ne sont pas des établissements normaux. Il est de notoriété publique, pas besoin d'aller chercher de clés USB que les enseignants de classes préparatoires, par exemple, par le jeu des "colles" ou "kholles", heures supplémentaires ou complémentaires peuvent gagner 4000 euros par mois. En enseignement supérieur, leur temps de cours est plus faible ce qui amène des facilités en heures supplémentaires, et surtout les colles touchent à la particularité de la rémunération des enseignants. Une colle est une heure d'évaluation devant un à deux élèves, peu de préparation, peu de correction, mais elle est payée comme tout autre heure d'enseignement. Productivité maximale.
La rémunération à l'heure de cours est le problème majeur du traitement des enseignants. Tâches annexes peu ou pas rémunérées, temps de préparation et de correction, qualité d'enseignement ignorés.
Pour sortir enfin des sous-entendus sur le temps de travail qui serait peu éloigné du temps de cours, Dominique Seux aurait du citer cette étude de 2002 indiquant que le temps de travail enseignant moyen était de 39.5h dont 20h hors enseignement.
Les paies maximales, comme ces 9400 euros sur un mois, peuvent s'expliquer par les subtilités de paiement dans l'Education Nationale. Heures supplémentaires payées seulement à partir de novembre voire décembre, passage à l'échelon supérieur effectif 6 mois plus tard. Tout enseignant connaît dans l'année un mois de paie plus important.
Enfin, cela devrait nous pousser à réfléchir et à remettre en cause les idées reçues sur le salaire enseignant. Quelle blague !
Les salaires enseignants sont vérifiables à la virgule près par la moindre recherche Internet. Un minimum de déontologie aurait été de consulter ces fameuses grilles indiciaires pour les resituer sur la population enseignante.
La référence retenue pour les enseignants est la suivante : il faut 10 ans d'ancienneté à un enseignant certifié ou un professeur des écoles pour gagner 2000 euros nets. Leur grille indiciaire est équivalente, seules les primes diffèrent au détriment du premier degré. A noter que ces dernières années ont vu l'apparition de nouveaux statuts comme celui d'enseignant en contrat à durée indéterminée, non fonctionnaire, doté de la même charge de travail pour lesquels 10 ans de carrière ne suffisent pas à dépasser les 1500 euros nets par mois.
Enfin les disparités de revenus ne cachent pas notre investissement global en éducation comparée à nos voisins. D. Seux étant le champion de la comparaison internationale, à l'Allemagne bien sûr, comparons en reprenant ici mot pour mot, Claude Lelièvre, historien de l'éducation:
Lelièvre, C., PISA: La France championne des résultats inégalitaires, Blog EducPros, Décembre 2010
"Selon
les données de l’OCDE datant aussi de l’année 2006, la France se
caractérise pour l’
enseignement primaire par un coût salarial par élève
(1625 dollars) nettement plus faible que dans la moyenne de l’OCDE:
elle est en 25° position pour 30 pays. L’écart par rapport à cette
moyenne (-637 $) s’explique par des facteurs de sens
divergent :
un salaire des enseignants plus faible (-256 $),
un temps d’enseignement assuré par les enseignants plus élevé (-257 $),
une taille des classes plus importante (-394 $), et,
en sens inverse, un temps d’instruction des élèves plus long (+ 270
$)".
Nous noterons donc que les "instits" français sont moins
bien payés, pour un temps devant les élèves plus long et des effectifs
par classe plus importants. En 2006 ! L'Education Nationale compte 79 000 enseignants en
moins depuis.
Au collège, le coût salarial par élève en France (2392 dollars) reste
inférieur à la moyenne de 526 dollars : la France se situe en 22°
position.
Le temps d'enseignement moindre compense l'écart de salaire. Un autre lien pour aller plus loin dans les comparaisons de
salaires enseignants.
Au final, nous obtenons des résultats dignes du 25ème rang de l'OCDE
pour un investissement proche du 25ème rang. Avec une particularité, une inégalité devant l'école énorme entre classes sociales couronnée par une avant-dernière place à ce sujet.
En conclusion, les salaires enseignants ne sont que peu en rapport avec leurs compétences réelles, leur temps de travail et une énorme disparité les caractérise. Cela ne vous rappelle rien ? Si, toute entreprise répondant à une logique de marché dont Dominique Seux nous parle chaque matin. Espérons qu'il mette dorénavant la même ardeur à défendre la justice salariale dans l'entreprise.
Voilà quelques éléments de réponse à cette chronique qui a fait
beaucoup parler aujourd'hui et que nombre d'enseignants auront pris
comme une énième provocation.