Dernière partie après les résultats et l'aide aux élèves en difficulté, les sujets de discorde
4. "Passer d'une logique de moyens à une logique de qualité":
le discours politique qui rend fou
Un
fonctionnement bien difficile donc. Mais de l'extérieur, les débats
entre professionnels de l'éducation et responsables politiques peuvent
être compris comme des dialogues de sourds entre les uns réclamant plus
de moyens, et les autres répondant que l'important est de changer de
méthodes jugées "dépassées, obsolètes".
Donc deux questions pour finir le côté pédagogique de notre bilan:
-
est-ce que nos moyens, nos coûts de scolarité sont si élevés ? Nos
enseignants sont-ils si nuls s'ils coûtent cher pour de si piètres
résultats ?
- Enfin, la question des méthodes, mais là, ne prenons
pas de gants : comment le ministère peut aujourd'hui faire croire qu'il
s'intéresse à la question des méthodes, à la qualité des cours donnés
aux élèves ?
4.1 Des coûts d'enseignement faibles
Pour la première, citons mot pour mot Claude Lelièvre, historien de l'éducation:
Lelièvre, C., PISA: La France championne des résultats inégalitaires, Blog EducPros, Décembre 2010
"Selon
les données de l’OCDE datant aussi de l’année 2006, la France se
caractérise pour l’enseignement primaire par un coût salarial par élève
(1625 dollars) nettement plus faible que dans la moyenne de l’OCDE:
elle est en 25° position pour 30 pays. L’écart par rapport à cette
moyenne (-637 $) s’explique par des facteurs de sens
divergent : un salaire des enseignants plus faible (-256 $),
un temps d’enseignement assuré par les enseignants plus élevé (-257 $),
une taille des classes plus importante (-394 $), et,
en sens inverse, un temps d’instruction des élèves plus long (+ 270
$)".
Nous noterons donc que les instituteurs français sont moins
bien payés, pour un temps devant les élèves plus long et des effectifs
par classe plus importants. En 2006 ! Nous comptons 79 000 postes en
moins depuis.
Au collège, le coût salarial par élève en France (2392 dollars) reste inférieur à la moyenne de 526 dollars : la France se situe en 22°
position.
Le temps d'enseignement moindre compense l'écart de salaire. Un autre lien pour aller plus loin dans les comparaisons de
salaires enseignants.
Bref,
au final, nous obtenons des résultats dignes du 25ème rang de l'OCDE
pour un investissement proche du 25ème rang. Pas de quoi pavoiser, ni
crier au loup. Notons que le coût salarial ne couvre pas les coûts
totaux (fonctionnement des établissements, administration...) et, il
serait intéressant d'ajouter au coût global le
manque à gagner fiscal accordé à la déduction des cours à domicile. 300 millions ?
Mais
"les moyens ne sont pas le problème, il faut changer les méthodes". Ce
discours trop souvent entendu devrait pourtant être intenable par le
ministère étant donné son désintérêt profond pour les questions de
l'enseignement et la réalité de sa gestion des personnels.
4.2 La pratique des rectorats pour une qualité d'enseignement:
Un adulte devant les élèves
Le
non-remplacement des titulaires engendre un appel massif à des
contractuels et vacataires. Le ministère ne donne pas de chiffres
actualisés du nombre de ses non-titulaires. Ils seraient toujours 20
000. Chez les personnels de direction, en première ligne pour gérer la
pénurie, le chiffre qui circule fait plutôt état de 60 000 embauches de
non-titulaires pour parer les 100 000 postes non remplacés.
Les
rectorats recrutent comme ils peuvent des
titulaires d'une licence universitaire; une licence scientifique, par
exemple, suffit pour enseigner mathématiques, sciences physiques ou SVT.
Il
n'y a alors aucune considération pour la qualité de l'enseignement, la
seule logique des rectorats est de mettre un adulte devant les élèves.
Mais
à 1500 euros nets par mois, les prétendants sont peu nombreux, le
recrutement s'élargit et les petites histoires se multiplient :
vacataire en français non latiniste enseignant le latin, établissement
comptant 10 contractuels sur 40 enseignants, élèves de 1ère sans profs
de français pendant 3 mois, rentrée du prof de maths en novembre,
recrutement d'un ingénieur retraité en technologie tenant des propos
racistes, prof d'allemand schizophrène, spécialiste en forage pétrolier professeur de SVT en difficulté ... Les commentaires sont les bienvenus
pour enrichir cette partie petites histoires.
Le
ministère pousse le vice encore plus loin en maintenant en situation
précaire les non-titulaires compétents qu'il réemploie année après
année. Premièrement, les concours de recrutement internes, réservés aux
contractuels pour passer titulaires, ont été fermés plusieurs années et
le sont encore parfois alors que le nombre de candidats potentiels
explose. Deuxièmement, pour éviter les procès aux prud'hommes pour
multiplication de contrats, certains rectorats signent en CDI les
non-titulaires, ayant exercé plus de 6 ans. Toujours au même salaire,
disponible pour enseigner sur tout le département.
4.3 Des réformes pour l'efficacité du système ?
Ensuite, deux réformes marquent encore un peu plus le désintérêt complet pour cette question de la qualité de l'enseignement.
La
première, la réforme de l'entrée dans le métier des néo-titulaires.
Précédemment, lors de la première année, les nouveaux enseignants
bénéficiaient d'un service à mi-temps, d'un temps important de formation
en IUFM et du soutien d'un tuteur. Désormais à temps plein, les
néo-titulaires sont confrontés à leurs classes avec une formation
d'accompagnement très légère, et le soutien d'un tuteur, au statut peu
enviable et peu recherché, est souvent hypothétique (tuteur dans un
autre établissement ou nommé bien après la rentrée). La qualité de
l'enseignement reçu par les élèves des néo-titulaires en difficulté ne
semble inquiétée personne au ministère, qui ne communique pas non plus
sur l'évolution des démissions de ces jeunes enseignants depuis la
réforme. L'inspection de l'académie de Créteil a mis en avant
un taux de démission de 22% en 2010. D'autres inspections ne publient pas ce décompte et préfèrent
encourager par lettre écrite certains jeunes enseignants en difficulté à démissionner.
La deuxième, la
réforme de l'évaluation des enseignants.
La reconnaissance de la compétence est un problème, si ce n'est le
problème de gestion des ressources humaines dans la maison EN.
Précédemment, l'évaluation des enseignants était calamiteuse du fait du
passage trop peu fréquent des inspecteurs, spécialisés dans la
discipline. Leur nombre en chute libre, le passage des
inspecteurs s'est fait encore moins fréquent ces dernières années; dans
certaines académies, des enseignants du secondaire ne voient personne en
10 ans. L'évaluation en parallèle par le chef d'établissement, de
l'engagement hors classe, était marginale (peu de liberté
laissée dans la notation). Mais pour régler le problème, l'évaluation des
enseignants se ferait désormais par le chef d'établissement uniquement,
sous les conseils de l'inspecteur. Un chef d'établissement n'a pas compétence
pédagogique sur l'ensemble des disciplines. L'enseignant sera donc
évalué sur son activité en dehors de la classe, les projets menés, son
autorité globale mais pas sur les apprentissages des élèves.
Qui
peut dire que ces réformes vont permettre une remise en cause des
méthodes enseignantes ? Comment peut-on affirmer se soucier de la
qualité de l'enseignement ?
5. Quelques mots sur le statut des enseignants
Quelques
informations sur ce point avant de conclure. Le salaire des enseignants
certifiés ou des professeurs des écoles reste modeste, mais cela n'a
pas empêché le ministère de réaliser une communication sur la
revalorisation des enseignants. Sans problème, Luc Chatel a comparé des
salaires de néo-titulaires à temps plein à Bac+5 avec ceux de l'an
dernier à mi-temps à Bac+4.
Soulé V., Luc Chatel, Le Père Noël et les 2000 euros, C'est Classe, Blog Libé
La
réalité aujourd'hui est que instituteurs et certifiés mettent toujours
aujourd'hui 10 ans de carrière, pour toucher 2000 euros nets.
Ajoutez à cela l'augmentation de
la cotisation sur les retraites et le
gel du point d'indice
depuis 2 ans pour comprendre que la stratégie viable choisie par nombre
d'enseignants consiste à prendre des heures supplémentaires. On peut
même affirmer que la gestion des personnels par le ministère les invite
même à prendre des heures, beaucoup d'heures, quitte à les bâcler,
puisque tout le monde s'en fiche.
En
conclusion, notre Ecole est tellement mise à mal aujourd'hui que pour
nombre d'enseignants les débats actuels dans les médias entre
républicains (pro-savoirs) et pédagogues (pro-développement de
l'enfant), ou sur le partage des responsabilités entre parents et
enseignants, sont d'une inutilité néfaste. Le matraquage que subit
l'Ecole ces dernières années devrait mettre au placard ces querelles de
second ordre et fédérer les acteurs pour remettre dans le bon sens cette
institution républicaine.
Et dernièrement, de quoi est victime notre
Ecole finalement si ce n'est d'un néolibéralisme inefficace et
dogmatique ? Celui-là même qui conduit aujourd'hui à une
distribution des revenus et à une fiscalité immorales, à
un accès au logement impossible, à la
mise en difficulté d'Etats souverains, à la
succession de crises financières, à la mise en concurrence des travailleurs de pays de niveaux de vie incomparables...