samedi 6 février 2010

La diplomatie de la Dette

L’assistance et les plans d’actions mis en place en Haïti après le séisme ont relayé l’image d’une diplomatie de la solidarité : les pays développés sont présents pour venir en aide aux victimes de tragédies des pays en voie de développement (PED). Si cette aide est d’une nécessité absolue, nous présenter en généreux donateurs doit donner des envies d’étranglement à tout haïtien informé.

Eric Toussaint et Sophie Perchellet recadrent les limites de nos élans de générosité et nous rappellent que nos liens avec Haïti sont bien plus marqués par une diplomatie de la dette.

De nombreux sites ont repris l’article de ses deux spécialistes, responsables du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde (CADTM), dont Voltairenet.org :
Haiti: au-delà des effets d'annonce, Toussaint, E., Perchellet, S.

Leur papier met en avant les instruments principaux de cette diplomatie. Petit glossaire personnel et subjectif de 3 de ces instruments :

o La dette odieuse : la définition est dans l’article ou autrement dit ; les enfants et petits-enfants des victimes d’un régime répressif, continuent de rembourser un prêt consenti à ce régime par un pays tiers. Celui-ci exige le remboursement sans reconnaître l’injustice profonde que représente cette dette ou son rôle dans le financement du régime répressif.

o L’allègement de la dette contre un plan d’ajustement structurel : une partie de la dette est annulée en échange de la mise en place de politiques économiques favorables aux pays créanciers mais ces politiques vident le pays des moyens de créer des richesses (concession de territoires regorgeant de ressources, baisse des taxes à l’importation des produits du créancier, fiscalité réduite)… et donc de rembourser la dette.

o La protection des dictateurs renversés : les politiques signataires de dettes, une fois déchus, trouvent refuge dans les pays créanciers, avec leurs fortunes. Leur extradition est freinée pour limiter le risque de mise au grand jour d’anciennes pratiques…

Haïti n’est qu’une victime parmi d’autres de la diplomatie de la dette. Les exemples sont nombreux et les récits de peuples victimes également. Par contre, John Perkins, économiste américain, développe le point de vue opposé du vendeur de dettes aujourd’hui repenti. Son livre relate les mécanismes de cette diplomatie et les contextes nombreux de son utilisation durant la guerre froide par les Etats-Unis.

Les Confessions d’un Assassin Financier, Perkins, J., 2005

La quête de sécurité et de prospérité pousse les Etats-Unis et l’URSS à chercher des alliés à travers le monde. Pour les premiers cités, les solutions militaires directes dans les pays se tournant vers le communisme sont un fiasco militaire et/ou médiatique. Dès lors, l’oncle Sam tente de convaincre les pays, pauvres ou non alignés, du développement rapide qu’ils connaîtront en s’engageant sur la voie de l’économie de marché et pour cela, leur accorde des prêts « généreux » pour réaliser des projets importants.

La dette ainsi créée est un mécanisme d’assujettissement des PED très efficace pour 3 catégories d’acteurs que Perkins associe dans ce qu’il appelle la corporatocratie : le gouvernement américain qui recherche sécurité militaire et énergétique, les grands bailleurs mondiaux (Banque Mondiale, FMI…) financés principalement par les Etats-Unis et les multinationales US de l’ingénierie, de l’exploitation pétrolière… à la recherche de marchés d’envergure.

Dans les années 70, Perkins est formé par la NSA, agence de renseignements américaine, à un rôle somme toute assez simple d’assassin financier. Salarié d’une grande firme d’ingénierie US, MAIN, il est responsable des évaluations d’impact de la construction d’infrastructures (centrales électriques principalement) sur la croissance d’un pays en développement. Il gonfle artificiellement ses prévisions de manière à convaincre les gouvernements des PED de se lancer dans ces projets. Subissant d’autres moyens de persuasion (pression, corruption), les gouvernements des PED contractent un prêt colossal devenant vite non remboursable. Rapidement, les richesses des PED sont littéralement pompées pour parvenir à recouvrir la dette, et leurs dirigeants assujettis aux désirs de leur créancier (implantations de bases militaires, vote amical à l’ONU, …). La corporatocratie met en place et profite de cet endettement : le système tient par un va-et-vient permanent de ses élites entre multinationales et postes à haute responsabilité politique.

Un exemple en quelques lignes : Torrijos et Roldos sont présidents du Panama et de l’Equateur dans les années 70. L’un refuse la main mise des américains sur le canal et s’adresse au Japon pour la construction d’un deuxième canal, l’autre souhaite mettre à la porte les compagnies pétrolières pour nationaliser les ressources. Les prévisions de croissance de Perkins et consorts ne les convainquent pas de s’endetter auprès des Etats-Unis, la corruption non plus… Torillos et Roldos meurent dans des accidents d’avion la même année en 1981 et sont remplacés par des pro-américains. Perkins met en cause directement la CIA.

La guerre froide est aujourd’hui finie mais l’efficacité des procédés et la cupidité de ses responsables font perdurer le système selon l’auteur. Ce qui tenait volontiers de la théorie du complot alors (rôle trouble de la NSA, élites trompant les peuples) a obtenu une légitimité et une transparence par la science statistique (Perkins a réussi à diffuser et à publier dans des revues scientifiques son modèle tronqué de prévision de croissance) et économique.

Le point de vue de Perkins trouve un écho extrêmement fort dans le vade-mecum 2009 du CADTM. Ce document reprend l’ensemble des chiffres sur les dettes des PED publiés par l’ONU, la Banque Mondiale…, leurs montants, leurs évolutions exponentielles, leurs créanciers, leurs régimes signataires, le détournement des prêts, les ajustements structurels. Edifiant document à parcourir bien assis.

Les Chiffres de la Dette 2009, Millet, D., Toussaint, E., CADTM

En conclusion, après des années d’exploitation, les mécanismes réels de la diplomatie de la dette sont désormais bien connus par les différentes ONG et leurs responsables ne sont plus dupes des « aides » aux PED. A ce titre, nombre d’entre elles ont signé une déclaration à l’attention des participants à la conférence des pays donateurs pour Haïti à Montréal. Cinglante mise en garde…

Le site PAPDA reprend la déclaration et énumère les ONG signataires.
La déclaration de Montréal sur la situation en Haïti

En espérant vous avoir intéressé…

A bientôt